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Pollution de l’air, des eaux et du sol par une usine: Logozohè, une localité mise à mort

Environnement
Par   Valentin SOVIDE, AR/Zou-Collines, le 06 févr. 2018 à 05h59

 Le voyageur qui traverse Logozohè depuis quelque temps est bien obligé de se pincer le nez et de garder sa respiration s’il ne veut pas être pris de malaise. Tant est désagréable l’odeur qui provient des déchets de l’usine chinoise qui fabrique de l’alcool à partir du manioc. Les démarches menées par les autorités compétentes pour ramener aux normes environnementales les responsables chinois de cette usine sont restées vaines. Et Logozohè se meurt lentement mais sûrement.

Plus aucun poisson dans le fleuve Klou. Des déchets chimiques ont pris la place de l’eau du fleuve. La verdure a cédé place à des herbes mortes autour du fleuve. Des cadavres d’animaux qui viennent s’alimenter autour sont régulièrement découverts autour du fleuve. Du jour au lendemain, les activités génératrices de revenus sont mises en berne à Logozohè avec l’installation de l’usine chinoise de fabrique d’alcool de cette localité, porte d’entrée dans la ville de Savalou. Les femmes jardinières et les pécheurs du fleuve Klou ont désormais tout abandonné après une lutte vaine contre le drame qui se joue dans leur localité. D’année en année, la situation devient de plus en plus dramatique. Et l’espoir qu’avait suscité l’implantation de cette usine chinoise dans leur localité en 2003 s’est très tôt mué en un cauchemar, avec des exploitants qui se sont rendus maîtres de l’air, de l’eau et de la terre, donc des vies à Logozohè.
Cette usine chinoise déverse dans le lit du fleuve des eaux usées faites de résidus des produits chimiques. Toutes les cultures meurent en quelques jours du fait de ces produits que drainent les eaux usées et dégageant une odeur pestilentielle. Le fleuve Klou ou ce qu’il en reste ne contient désormais que les eaux usées noirâtres bien surchargées de déchets. Plus aucune vie dans ce fleuve. Tout y est mort. Pas le moindre poisson. Même les bœufs en pâturage dans la localité sont morts après avoir bu les eaux ou brouté les herbes infestées. Et en saison pluvieuse, quand le fleuve sort de son lit pour arroser les cultures maraîchères pratiquées aux alentours, c’est le désastre ! Conséquence, les bonnes dames surendettées ont dû tout abandonner et quitter Logozohè pour la plupart et trouver refuge ailleurs. Les rares qui sont restées se savent condamnées à une mort lente en respirant les odeurs des produits chimiques déversés dans la nature. Plus aucune activité n’est encore possible puisque tout comme l’air, les eaux et la terre de Logozohè sont polluées par ces déchets toxiques générés par l’usine d’alcool.

Cris de détresse

Face au drame, les habitants de Logozohè sont très remontés contre ce sort qu’ils subissent, impuissants depuis quelques années face à cette situation qui les soumet à une mort lente mais certaine. Le mécontentement a atteint un tel niveau qu’ils ne font plus confiance à personne pour venir à bout de cette pollution. Ils se disent tous condamnés à une mort certaine face à l’impuissance des leurs devant des exploitants sourds à leurs cris de détresse. Mathias Boco, chef de famille et habitant de Logozohè, raconte que « Cela fait bien plus de 16 ans que cette usine cause la désolation dans nos familles ici à Logozohè. Tout le monde souffre d’allergie, de toux et de rhume de façon permanente ». Il est appuyé par Charles Dégila, ouvrier-artisan, qui soutient que « plus grave, en période de sécheresse comme c’est bien le cas actuellement, lorsque le fleuve tarit et que les déchets stagnent dans son lit, plus personne ne peut bien respirer ». « L’odeur est suffocante et piquante. C’est l’enfer que nous vivons ici et il n’y a personne pour mettre fin à cette souffrance que nous imposent les Chinois ici », se désole-t-il.
Malick Kolé, paysan victime des affres de cette pollution, s’indigne : « Nous n’avons même plus d’eau à boire. Les cours d’eau sont tous contaminés par les déchets chimiques ». « Conscients des dégâts causés en permanence sur l’environnement, ces Chinois ont fait un bassin d’eau dans l’enceinte de l’usine pour leur consommation. Et ils interdisent l’accès de ce bassin à la population qui buvait l’eau des cours d’eau désormais pollués », enchaîne-t-il.
Quoiqu’encore optimiste quant à une solution rapide à cette situation, Alexis Ahotondji, enseignant à l’école catholique de Logozohè, reconnaît que l’odeur provenant des installations des Chinois est insupportable aussi bien pour ses apprenants que pour lui-même. Comme solution, il propose que « les Chinois entendent raison pour arrêter d’infester le fleuve Klou en mettant en place des installations qui leur permettent de gérer convenablement et selon les normes environnementales les déchets qui causent la désolation à Logozohè et environs ». « Je ne demande pas qu’on renvoie les Chinois qui ont fait un important investissement ici. Mais il faut qu’ils fassent les choses de façon à permettre aussi à la population de vivre sainement et en paix dans son milieu », nuance-t-il. « Car, aujourd’hui, beaucoup sont convaincus qu’il ne fait plus bon vivre à Logozohè, cette localité qui a perdu aujourd’hui de son charme du fait de la pollution qui s’étend sur des kilomètres », ajoute-t-il.
Le chef d’arrondissement de Logozohè, Jonas Tossou, a confié qu’il est fatigué et impuissant face à l’agissement de la partie chinoise à Logozohè. Pour Jonas Tossou, « Depuis 2003 que les problèmes de Logozohè ont commencé, toutes les autorités ont été mises à contribution mais rien n’y fit. Ces Chinois n’écoutent personne. Ni le chef d’arrondissement que je suis, ni le maire de la commune de Savalou, personne n’a de valeur à leurs yeux. Puis, pensant trouver la solution avec les autorités au niveau national, des démarches ont été entreprises pour faire intervenir les agents des Eaux et Forêts, l’Agence béninoise pour l’Environnement (Abe), les services d’hygiène et autres. Mais, les Chinois sont restés sourds face à ce beau monde ». « Ils ne considèrent aucune autorité béninoise. Ils sont imperméables à tout ce qui se dit et continuent de polluer sans se soucier de quoi que ce soit. Je vous dis qu’ils ont sans doute des appuis solides dans notre pays, et c’est triste », s’indigne-t-il. Très remonté, l’élu de Logozohè déplore cette «immunité» qu’ont les Chinois et qui les pousse à banaliser toute mise en garde. Et pourtant, fait-il remarquer, « c’est tout Logozohè jusqu’à la localité de Gobada située à 18 km qui est aujourd’hui dévasté par cette pollution causée par l’usine de fabrique d’alcool ».

Refus des Chinois

Face à ce désastre qui se joue à Logozohè et dénoncé par ses habitants, notre équipe de reportage s’est rendue dans l’enceinte de l’usine d’alcool de Logozohè. Une fois sur le site, notre équipe a bien voulu avoir la version des Chinois accusés à Logozohè de tous les péchés d’Israël. Sur les lieux, notre équipe a essuyé un refus catégorique des responsables chinois de nous recevoir. L’un d’entre eux « exige un papier cacheté et signé des mains du président Talon avant de parler ». Notre équipe de reportage a été, sous menaces, éconduite de l’usine, en présence des employés visiblement frustrés. Selon certains parmi eux qui visiblement ne sont surpris de cette réaction de leurs employeurs chinois, la maltraitance et l’irrespect des Béninois est le quotidien dans cette usine depuis toujours. « Aucun égard à qui que ce soit par la partie chinoise », nous confie un des employés de la société.
Et pourtant, tout le monde sait que la source des nuisances à Logozohè est l’usine chinoise de production d’alcool. La lutte contre les nuisances est bien régie par une réglementation sous une forme générale de la protection de l’environnement et sous une forme sectorielle prenant respectivement en compte les produits dangereux dont les produits chimiques et les déchets dangereux.
Aussi, la réglementation en matière d’hygiène et de santé s’appuie en grande partie sur la loi n° 87-015 du 21 septembre 1987 portant code de l’hygiène publique. Cette loi est d’ailleurs considérée comme l’une des toutes premières sources générales du droit de l’environnement au Bénin. En effet, à travers l’hygiène sur les voies publiques, l’hygiène des habitations, l’hygiène des denrées alimentaires, l’hygiène sur les établissements classés, les marchés et les activités commerciales en plein air, l’hygiène des places publiques et des plages, l’hygiène concernant l’eau pour diverses utilisations, l’hygiène des installations industrielles et l’hygiène relative aux contrôles sanitaires aux frontières, ainsi que celle relative à la lutte contre le bruit et la pollution du milieu naturel, la loi couvre presque tous les domaines de la réglementation environnementale.
C’est dire que le problème de Logozohè est déjà prévu par les textes qui régissent notre cadre de vie. Il s’agit aujourd’hui de les appliquer pour arrêter le désastre en cours dans cette cité. Il revient aux autorités compétentes de discipliner les responsables de cette usine en faisant appliquer la règlementation en vigueur. Aussi puissants que sont ces Chinois, il faut qu’ils veillent au respect des normes de protection de l’environnement ?