La Nation Bénin...
La pollution de l’air est un problème majeur de santé en Afrique de l’Ouest, en l’occurrence dans les grandes villes, à cause des activités économiques, des transports à travers la prolifération des motos et véhicules usagés, des activités domestiques et de l’agriculture urbaine. Les populations vulnérables sont souvent les plus touchées par l’exposition à la pollution de l’air dont les conséquences sur la santé se traduisent par le développement des maladies non transmissibles. Dr Marius Kèdoté, chercheur à l’Institut régional de santé publique et coordonnateur de l’équipe régionale de la Chaire Pollution urbaine de l’air et maladies non transmissibles (ChairePol) explique dans cette interview, les risques auxquels nous expose la pollution urbaine de l’air et indique les mesures à prendre pour réduire son impact sur la santé.
La Nation : La Chaire Pollution urbaine de l’air et maladies non transmissibles, qu’est-ce que c’est ?
Dr Marius Kèdoté : La ChairePol est un projet sur la pollution de l’air et ses effets sur la santé humaine. Ce projet porté par la chaire écosanté couvre trois pays côtiers (Bénin, Côte d’Ivoire et Sénégal) et un pays enclavé semi-désertique de l’hinterland (Burkina Faso). La chaire écosanté est une initiative régionale en Afrique de l’Ouest pour l'enseignement, la recherche et l’application des connaissances en santé environnementale. Elle est coordonnée au niveau du pôle central (Bénin) et s’appuie sur les contributions de membres d’ONG et chercheurs de diverses disciplines en Afrique subsaharienne et ailleurs (Belgique, Canada, France, Etats-Unis, Suisse, etc.). Elle vise à assurer un environnement urbain viable, vivable et équitable en Afrique de l’Ouest et du Centre à travers l’application de l’approche écosanté, une approche multidisciplinaire et participative sur les enjeux conjoints de santé et d’environnement. La chaire écosanté coordonne la formation de jeunes chercheurs talentueux par le biais d’un programme doctoral interuniversitaire de santé publique orienté écosystèmes, santé et développement durable.
Plusieurs études ont été réalisées au Bénin par la chaire écosanté en matière de pollution urbaine de l’air, quels en sont les résultats ?
Des études sur les sources et le niveau de pollution à Cotonou menées dans le cadre du projet Chairepol sont en cours. Mais, il en ressort des données préliminaires que certains des polluants réglementés au Bénin (le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote, les particules fines) ont été retrouvés dans l’air à des niveaux au-delà des seuils recommandés. Ces dépassements ont été enregistrés pour la plupart du temps à des endroits de forts trafics routiers comme Dantokpa. Notons aussi qu’à des endroits insoupçonnés, Arconville par exemple à Abomey-Calavi qui est une zone résidentielle, des polluants ont été retrouvés à des niveaux relativement hors normes.
Comme sources de pollution au Bénin, le trafic routier avec la mise en circulation des véhicules d’âges trop avancés a été identifié comme première source suivi des industries et autres activités anthropiques (incinération de déchets, utilisation de pesticides, pratiques culinaires, etc.).
Une autre étude sur les connaissances, attitudes et pratiques (CAP) des populations en matière de pollution de l’air et de ses risques sanitaires a été réalisée dans le cadre du projet Chairepol. Cette étude montre que la population de Cotonou a une vague connaissance des enjeux de la pollution de l’air. Sa connaissance mérite d’être renforcée. Ces populations n’ont pas des attitudes et pratiques adéquates ou qui reflètent une bonne connaissance des conséquences de la pollution de l’air. Ceci est la résultante d’une ignorance couplée aux conditions de vie précaires qui contraignent les populations à des pratiques à risque pour leur santé.
L’équipe de la Chaire écosanté a également fait une analyse de la réglementation de la pollution de l’air au Bénin. Globalement, pour défauts matériels, organisationnels et de volonté politique, la quasi-totalité des dispositions des textes réglementaires ne sont pas appliquées avec rigueur. Certains textes sont caduques et méritent d’être mis à jour pendant que d’autres doivent être renforcés sur le plan pénal. Cette étude a suggéré la dotation aux structures habilitées, de matériels et moyens nécessaires pour l’application optimale des normes. En outre, la révision de certains textes en vue de leur renforcement et de leur mise à jour a été recommandée.
Quels sont les risques qu’encourent les populations exposées à ce type de pollution ?
Sur le plan sanitaire, selon l’OMS la pollution de l’air constitue un problème de santé publique et a tué 7 millions de personnes en 2012 dont 3,7 millions attribuables à la pollution de l’air extérieur. 88 % de ces décès ont eu lieu dans les pays à revenus bas et moyens et plus précisément 176.000 décès ont été enregistrés en Afrique.
Plusieurs études au Bénin ont fait le lien avec la santé et la pollution de l’air. Ainsi, l’exposition intra domiciliaire à la pollution liée au trafic urbain avec des conséquences sur la santé respiratoire a été prouvée. L’exposition à la pollution urbaine liée au trafic serait liée à une mortalité élevée due aux maladies chroniques des voies aériennes inférieures. Ainsi, plus du quart des conducteurs de taxi-moto souffrent d’infections respiratoires aiguës basses (IRA basses). La pollution de l’air est associée aux maladies respiratoires non transmissibles, cardiaques et dermatologiques. Parmi une multitude d’affections, on peut donner en exemple, la bronchite pulmonaire chronique obstructive, la rhinorrhée, l’asthme, le cancer des poumons, l’hypertension artérielle et l’eczéma.
En réalité, les vendeurs de rue, les vendeurs d’essence et les conducteurs de taxis-motos sont plus exposés à la pollution de l’air extérieur que les autres couches de la population qui ne sont pas épargnées.
De plus, la pollution de l’air contribue à appauvrir davantage la population. En plus de la précarité dans laquelle vivent les ménages, il faut qu’ils fassent face aux dépenses qu’engendre la pollution de l’air à leur encontre via les maladies. C’est ainsi que la pollution de l’air entrave le bien-être des populations en les enfonçant davantage dans la pauvreté.
D’ailleurs, une étude récente de la Banque mondiale insiste sur le coût de la pollution de l’air qui pèse plus sur les pays en développement.
Actuellement, la Chaire écosanté réalise des études épidémiologiques associant les aspects socioéconomiques sur la pollution de l’air. Les maladies concernées par les études en cours sont cardiaques et respiratoires.
Le gouvernement a annoncé le démarrage du contrôle des gaz d’échappement des véhicules dans le cadre de l’application du principe de pollueur-payeur. Quelles appréciations faites-vous de cette mesure ?
Ces mesures correctionnelles ne sont pas prises ex nihilo par le ministère en charge de l’environnement. En réalité, ces dispositions sont prévues par l’arrêté interministériel de 2001, portant mesures coercitives applicables aux auteurs de pollution atmosphérique due aux véhicules à moteur. Ce texte, normalise les émissions des véhicules dans ses articles 2 à 5. Les articles 11 à 15 de l’arrêté évoquent les mesures coercitives applicables aux pollueurs. De ce fait, tout propriétaire de véhicules à deux ou plusieurs roues qui dépassent les normes d’émissions de gaz se fait confisquer les pièces de son véhicule et est puni d’une amende. En cas de récidive, l’amende est portée au double.
Il faut dire qu’autrefois, les amendes étaient rigoureusement appliquées aux propriétaires de véhicules polluants. Ceux qui ne payent pas l’amende couraient le risque de confiscation de leur véhicule ou de leur permis de conduire. Cette mise en œuvre était jalonnée d’obstacles. Ces obstacles sont d’ordre politique avec une mise en application sans rigueur et un traitement de certains auteurs de pollution avec partialité.
Notons qu’un soulèvement des syndicats des transporteurs pour protester contre l’application des amendes prévues par ce texte a été enregistré par le passé ; une protestation réitérée en 2016.
Cependant, les inspecteurs de l’environnement pensent qu’il faut la répression pour lutter contre la pollution.
A l’idée de n’avoir aucune contrainte judiciaire à entretenir son véhicule de sorte à le rendre moins nuisible à l’atmosphère, les propriétaires de véhicules motorisés se soucieront encore moins de la capacité polluante de leurs engins. Ceci est valable, dans la mesure où la grande masse n’a pas conscience de l’ampleur et du danger que constitue le phénomène de pollution de l’air ; faute de sensibilisation.
La population est-elle assez informée des dangers de la pollution de l’air et de l’importance de la lutte pour être réprimandée? C’est la question qui se pose. Rappelons que l’analyse du cadre réglementaire a montré un manque de communication pour un changement de comportement à l’endroit de la population. Nous pensons qu’il faut que la population cerne tous les contours des enjeux de la pollution de l’air avant de se faire réprimander. Ceci passera par la bonne organisation de campagnes de sensibilisation. L’application de la coercition pourra être mise en place de façon rigoureuse et impartiale après la sensibilisation.
Que faire pour venir à bout de la pollution de l’air à Cotonou et dans les grandes villes du Bénin ?
Venir à bout de la pollution de l’air à Cotonou est un idéal, la réduire reste un défi à relever. La réduction de la pollution de l’air aura un impact positif sur la santé de la population et participera à la réduction de la pauvreté. Elle permettra d’une part aux ménages d’amoindrir la charge financière liée aux soins de santé et d’autre part aux pouvoirs publics de minimiser les coûts liés à la dépollution. Ceci contribuera au bien-être de tous.
Pour y parvenir il faut la contribution de toutes les parties prenantes (le gouvernement, les chercheurs, les ONG, la communauté et les collectivités locales) ; ce que l’approche écosanté recommande. Nul ne sera de trop pour lutter contre la pollution de l’air.
Cette lutte est engagée en faveur des communautés, elle doit être donc menée avec elles. C’est ce que la Chaire écosanté a commencé en initiant un programme dénommé « Air sain » qui vise à faire connaître les enjeux de la pollution de l’air aux populations et à leur faire changer de comportements.
Toutefois, pour une lutte efficace, une volonté politique est impérative. Le gouvernement doit s’y mettre pour accompagner les initiatives en cours et les renforcer. Le gouvernement se doit de renforcer les normes et rendre opérationnelle leur application en ne mettant pas de côté la conscientisation des populations. Il faut par exemple doter les structures habilitées d’équipements de travail notamment des appareils de contrôle de la qualité de l’air et de laboratoire ; veiller à l’application de la norme sur la limite d’âge des véhicules et l’importation des véhicules à pots catalytiques ; s’assurer de la qualité des produits pétroliers sur le territoire béninois, etc. Toutes les actions doivent être menées avec toutes les parties prenantes pour éviter d’éventuel chevauchement d’actions. En bref, il faut une synergie des actions de lutte?
Propos recueillis par Reine AZIFAN