Droit à la santé infantile : a ‘’Mahou’’, le trésor est oublié
Santé
Par
Maryse ASSOGBADJO, le 29 avr. 2022
à
13h53
Les enfants du village Mahou dans la commune de Dassa (environ 200 km de Cotonou) sont privés de soins. Faute d’infrastructures sanitaires adéquates, beaucoup n’achèvent pas leur cycle de vie.
Par Maryse ASSOGBADJO
Mahou n’avait pas encore fini de faire son deuil ce mardi 12 avril 2022. Le décès prématuré de l’un de ses fils, la veille, bouleverse encore les esprits. Ce village situé à 12 km de Dassa est habitué à ces genres de situations en raison du manque d’infrastructures sanitaires. A ce jour, la localité ne dispose d’aucun centre de santé.
Pour faire bénéficier des soins de santé à leurs enfants, les parents doivent arpenter plusieurs kilomètres sur une piste rurale déserte avant de rallier Dassa ou Savalou.
Ce qui frappe à Mahou, c’est le grand désespoir qui habite les populations privées de soins. Beaucoup d’enfants y périssent,selon les témoignages d’Enock Houngnibo, chef du village et de ses administrés. Le paludisme sévit beaucoup dans la localité et hypothèque la santé des enfants. « Nos enfants tombent fréquemment malades. Très souvent, nous sommes impuissants pour les soulager, car nous ne disposons pas de centre de santé ici », se plaint le chef de village (Cv).
Nicaise Fagnon, maire de la commune de Dassa, ne partage pas ces plaintes. « Il y a un centre confessionnel non loin d’ici, qu’ils (ndlr : les habitants) embranchent pour retrouver la route inter-Etats allant vers Savalou, où ils bénéficient des soins de santé », se défend-il.
Au bord du désarroi, les populations signent et persistent que les soins de santé relèvent plutôt d’un luxe à Mahou.
« Les enfants qui ont la chance d’être conduits tôt à l’hôpital sont guéris. Autrement, c’est le coup fatal », se lamente le Cv. La mortalité infantile et néonatale est une autre équation dans le village.
La vie de Gisèle Ogbokotan, habitante de la localité, a failli basculer, il y a deux ans.
« N’eût été une bonne volonté qui m’a secourue en chemin et m’a transportée dans un centre de santé à Dassa, je serais déjà morte en couches ». Cette femme, la quarantaine, a été le témoin du décès de plusieurs enfants. « Beaucoup d’enfants meurent dans notre village, faute de soins. Nous dépensons au moins 1 500 F Cfa pour les frais de déplacement pour rallier le centre de santé le plus proche »,
explique-t-elle.
Discriminations
Par ailleurs, le manque de sang crée beaucoup de tort aux enfants », souligne Médard Kamadé, secrétaire de la Mutuelle de santé et de nutrition de Mahou. A ce propos, il garde encore en mémoire le souvenir douloureux d’un enfant de six ans, passé de vie à trépas, il y a quelques mois, parce que n’ayant pas bénéficié des soins adéquats à temps.
La discrimination des enfants du village Mahou par rapport à ceux du centre urbain est palpable. La population infantile encaisse doublement le coup pendant la saison pluvieuse. « Beaucoup d’enfants sont anémiés du fait du paludisme en période de pluie. La majorité d’entre eux ne bénéficie pas de soins adéquats », argumente le chef du village.
Ici, les problèmes de santé sont liés au manque de dispositifs d’hygiène et d’assainissement. Les latrines publiques sont rares et la défécation à l’air libre n’est pas encore bannie. S’ensuivent les infections, les maladies diarrhéiques, la malnutrition….
Selon le Rapport d’évaluation du genre au Bénin de la Banque mondiale, « ces affections sont considérées comme des maladies associées à un haut risque de décès chez les enfants de moins de 5 ans. Au regard des conséquences connexes, en plus des pertes en vie humaine, le paludisme et autres pathologies mobilisent beaucoup de ressources en matière de santé publique ».
Lorsqu’on sait qu’une bonne hygiène participe également de la santé, il y a lieu pour les pouvoirs publics de se pencher sur le cas de Mahou.
Le stress des mères augmente lorsqu’elles doivent supporter le poids de la maladie de leurs enfants, sans être sûres de les amener au centre de santé dans les délais. Conséquence, leur productivité en pâtit, se plaint Gisèle Ogbokotan. « Nos forces productives s’épuisent parfois face à la misère de nos enfants. Leur santé dépend de notre bien-être », argumente-t-elle.
Au centre de plusieurs autres villages, Mahou voit s’accroître sa population au jour le jour, passant de 867 habitants, selon le Rgph4 à plus de 1500 habitants aujourd’hui. Toutefois, la croissance démographique ne suffit pas à mettre la pression sur les décideurs.
Pour l’heure, les responsables communaux semblent être en quête d’équilibre pour définir clairement des lignes budgétaires pour les soins de santé infantile au profit des populations de Mahou.
Sur la question, Nicaise Fagnon tente de convaincre : « Ils ont le bénéfice d’un programme de piste rurale de la part du gouvernement via les ressources de la mairie. Lorsqu’il y a un problème lié aux ouvrages d’assainissement, nous nous attelons à travers les ressources du Fadec afin d’amoindrir leurs difficultés ».
Selon lui, le programme de développement communal déployé par la mairie tient compte des grands indicateurs et repères à travers les objectifs de développement durable, la lutte contre les changements climatiques, l’approche genre et la promotion de la productivité féminine.
Il y met tout de même un bémol. « Nous avons l’impression que les populations ne sont pas suffisamment impliquées dans les programmes de développement. Nous les associons, mais nous ne faisons pas de leur implication une activité majeure. Nos ressources propres ont commencé par s’améliorer il y a deux ans », nuance le maire de Dassa.
La population, elle, se soucie peu des questions de redevabilité. Cette léthargie n’accroit pas non plus ses chances de bénéficier d’une infrastructure sanitaire digne du nom.
Mettre la main à la pâte
Face à leur misère, les populations de Mahou pensent qu’en prêtant une main forte à l’Etat, elles pourront bénéficier de sa bienveillance. C’est pourquoi, elles lui proposent l’octroi de terres, en vue de la construction d’un centre de santé à son profit.
Nicaise Fagnon pointe du doigt la discrimination des enfants de ce village par rapport à ceux de Cotonou, capitale économique du Bénin. Faisant référence à l’Enquête démographique et de santé de 2017-2018, le document de Profil genre au Bénin confirme ce déséquilibre : « L’accès aux établissements de santé dans les zones rurales est plus difficile que dans les zones urbaines en raison de la distance, de l’inaccessibilité et du manque d’installations appropriées ».
La Note d’analyse du budget général de l’Etat, gestion 2022 sous l’angle du genre relève que « les nombreuses disparités en matière de santé au Bénin conduisent souvent à de graves problèmes de santé qui compromettent la réalisation de l’accès universel aux soins de santé et l’atteinte des Objectifs de développement durable ».
Médard Kamadé, secrétaire exécutif de la Mutuelle de santé et de nutrition de Mahou, analyse la situation de son village sous le prisme du sous-développement. « Le manque d’infrastructures sanitaires engendre non seulement des pertes en vie humaine mais aussi des maladies qui constituent un facteur d’aggravation de la pauvreté, une cause d’inégalité et un frein au développement du capital humain », relève-t-il.
L’Objectif de développement durable N°3 promeut la « bonne santé et le bien-être de tous à tout âge », conditions essentielles au développement durable. En prenant à bras-le corps la situation de Mahou, l’Etat préserverait ses ressources dans la localité. De ce fait, il investirait plus dans le capital humain chaque année, car une population malade, de surcroit privée de soins, ne peut contribuer efficacement au développement.
L’enjeu, c’est de s’assurer que chaque enfant, quel que soit son milieu jouisse d’une bonne santé pour contribuer au développement, car plus la relève bénéficie d’une bonne santé, mieux le pays se porte et le développement est réel. Il urge d’installer des infrastructures de soins au profit de Mahou afin de rectifier le tir.
En attendant, les habitants de ce village lancent un cri de cœur aux pouvoirs exécutif et législatif en vue de l’allocation des ressources budgétaires pour la construction de centre de santé et de dispositif d’hygiène et d’assainissement à leur profit.
Dans tous les cas, l’Etat gagnerait à doter ‘’Mahou’’ de ses vrais attributs afin de lui conférer ce qui lui reste de sacré, ses enfants, qui ne constituent pas moins la relève que ceux des milieux urbains.