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Théophile Hounhouédo à propos de la couverture vaccinale des enfants: « Au fur et à mesure que les dates s’éloignent, certains ne viennent plus… »

Santé
Par   Ariel GBAGUIDI, le 20 mai 2021 à 08h12
Après l'accouchement, les femmes respectent moins les calendriers vaccinaux des nouveau-nés. Dans son hôpital, Théophile Hounhouédo, médecin de santé publique, en a recensé 25 cas sur 100 enfants âgés de 0 à 11 mois. Cette situation prévaut dans les hôpitaux publics comme privés. Pour y remédier, il a lancé le 24 avril dernier une campagne en vue de retrouver et de vacciner tous les enfants nés dans son centre et qui se trouvent dans le cas. A travers cette interview, il revient sur les dessous du phénomène. La Nation : Pourquoi avez-vous initié une campagne de vaccination au profit des enfants de 0 à 11 mois que vous avez appelés « les perdus de vue », c’est-à-dire les enfants qui ont un calendrier vaccinal non à jour, et que vous avez du mal à localiser ? Théophile Hounhouédo : Nous avons constaté que les enfants commencent la vaccination mais n’arrivent pas à aller au bout en respectant la prise de tous les antigènes. En fouillant notre registre, j’ai remarqué que le taux tourne autour de 25 à 30 %. Dans ce lot, il y a beaucoup qu’on ne peut même pas retrouver parce que les adresses de leurs parents, totalement incomplètes, se limitent aux noms des quartiers dans lesquels ils résident. Donc, on a remarqué que les nouveau-nés reçoivent, à 99,99 %, les premiers vaccins qu’on reçoit à la naissance : Bcg, anti-polio, anti-hépatite. Six semaines après, ils doivent revenir. Et là, le taux descend à 90 %. A dix semaines, on a un taux compris entre 70 et 80 % et à quatorze semaines, on est autour de 60 %. Donc, le constat est qu’au fur et à mesure que la femme sort de la maternité, et que les jours passent, les enfants ne viennent plus prendre normalement leurs antigènes. A quoi est dû ce phénomène ? Ce fait est dû à plusieurs facteurs. Il y a des facteurs liés aux femmes, à la communauté. C’est dire que la femme n’a pas assez d’informations. Elle ne sait pas que vacciner son enfant lui donne beaucoup d’avantages. Pour elle, son enfant n’est pas encore malade et donc, elle ne trouve pas nécessaire d’aller le vacciner. Elle donne la priorité à ses activités génératrices de revenus, et elle ne respecte pas les rendez-vous de vaccination de l’enfant. L’autre élément, ce sont les fausses rumeurs qui ont cours au sujet de la vaccination. Des rumeurs que nous devons travailler à éliminer en principe. A côté de tout cela, il y a des facteurs liés au système de vaccination lui-même. Je vais citer quelques exemples. On a constaté qu’il n’y a pas une complétude des informations relatives à l’adresse des femmes qui viennent vacciner leurs enfants. Sur une carte maternelle, on a écrit, enfant: Dossou Bertin, Quartier : Djidjè. Lorsqu’on entre dans Djidjè, comment retrouver cet enfant Dossou Bertin ? On a également constaté que plus la femme est lettrée, plus elle respecte les rendez-vous de vaccination pour son enfant. Cela ne voudrait pas dire que la femme qui n’est pas lettrée ne veut pas vacciner son enfant. Le constat, c’est qu’elle oublie, elle ne maîtrise pas les dates des rendez-vous qui sont fixés sur plusieurs semaines. Un autre exemple que je voudrais citer, c’est la vaccination des enfants à neuf mois pour le Rouvax. Le coffret d’antigènes tient compte de dix enfants. Si la femme vient aujourd’hui pour la vaccination et qu’il n’y a que trois femmes qui sont là, on est obligé de leur dire de revenir tel jour. Elle revient, et on lui dit qu’il n’y a que cinq enfants qui sont là et qu’on ne peut pas les vacciner et qu’il faut qu’ils soient dix. Elle revient et le nombre n’est toujours pas atteint. Et la femme qui se rend disponible trois à quatre fois mais n’arrive pas à vacciner son enfant, ne revient plus. Donc, ce sont de petits détails qui entravent le respect du calendrier vaccinal par les femmes. Quelles sont vos mesures pour pallier cet état de choses ? Je pense que nous, acteurs de la vaccination du secteur public et du secteur privé, nous devons encore donner le meilleur de nous-mêmes. On doit être ingénieux pour innover, mettre en chantier des stratégies qui permettront de toucher l’enfant et la femme à vacciner, où qu’ils se trouvent. L’organisation doit se faire de façon systématique, pratiquement tous les mois ou tous les trois mois. On ne va pas attendre un an pour aller à la recherche des perdus de vue. Et en procédant de cette manière, on va certainement améliorer notre couverture vaccinale. La sage-femme, le médecin ou l’infirmier doit encore consacrer du temps à la femme lorsqu’elle est encore à la maternité pour lui expliquer l’importance de la vaccination. Et chaque fois qu’elle vient en consultation prénatale, chaque fois qu’on a l’occasion, on doit revenir sur l’importance de la vaccination et du respect du calendrier vaccinal. Je sais qu’on n’a pas souvent le temps de le faire mais nous devons faire l’effort d’y revenir, chaque fois quand on voit la femme. Je pense aussi que l’agent de santé doit faire l’effort pour que l’adresse de l’enfant et de ses parents soit la plus complète possible. Aujourd’hui, presque toutes les femmes ont un numéro de téléphone mobile. A défaut d’avoir le temps d’écrire une adresse complète, il faut mettre ce numéro de téléphone pour que facilement l’on puisse retrouver l’enfant. Nous devons également mettre à contribution les acteurs communautaires, surtout les relais et animateurs communautaires qui doivent retrouver les femmes qui ont accouché pour leur rappeler les rendez-vous des vaccinations. Ils peuvent se rendre chez elles à partir des adresses complètes, correctes et actuelles. En outre, il faudrait un système qui leur rappelle: maman, demain c’est le rendez-vous de votre vaccination, etc. Dans le foyer, ce n’est pas que la femme qui doit se rappeler le calendrier vaccinal. Nous devons mettre l’approche genre à profit à ce niveau-là aussi. L’homme peut dire : « J’amène ma femme à l’hôpital pour la vaccination, je revois le calendrier des rendez-vous de sorte que c’est qui lui rappelle que c’est tel jour à telle heure la vaccination, etc. Nous avons beaucoup plus à gagner à la recherche de la bonne santé de l’enfant, encore que la vaccination est totalement gratuite. Personne ne paie un rond pour vacciner son enfant. Alors, pourquoi ne pas en profiter ? En gros, la responsabilité est partagée mais la grande part revient aux agents de santé, à vous entendre. Je pense qu’en tant qu’acteurs de santé, nous devons multiplier les efforts. Nous devons être beaucoup plus engagés. Les acteurs de santé le savent déjà mais on peut améliorer beaucoup plus notre image en matière de vaccination des enfants en réservant un très bon accueil aux femmes lorsqu’elles viennent vacciner leurs enfants, en ne leur faisant pas perdre beaucoup de temps. Lorsque la femme vient, qu’elle se dise : « Je vaccine mon enfant dans quinze, trente minutes et je pars. » Mais lorsqu’elle vient à huit heures et c’est à midi qu’elle va retourner chez elle, ça pose un problème. Nous devons nous réorganiser pour que les gens puissent dire que la vaccination ne traîne pas. Je pense que nous avons le devoir de mieux sensibiliser, de mieux nous appuyer sur les élus locaux, sur les acteurs communautaires et autres pour vraiment faire la promotion de la vaccination tous les jours. Il ne faut pas attendre un 24 avril forcément pour le faire. C’est au quotidien qu’on doit rechercher les perdus de vue.