La Nation Bénin...
L’ultimatum d’un mois donné par le gouvernement aux agents de santé, appelés à choisir entre le public et le privé, continue d’alimenter les débats. Dr Francis Dossou, président du Conseil national de l’Ordre des médecins du Bénin, dans cet entretien, parle de l’intérêt de cette mesure pour la population. A quelques jours de l’échéance prévue le 31 août prochain, il estime que cette décision vise en réalité à offrir des soins de qualité à la population et qu’il faut bien commencer quelque part.
La Nation : Comment le Conseil national de l’Ordre des médecins du Bénin a-t-il accueilli l’ultimatum du gouvernement aux agents de santé de choisir entre le public et le privé ?
Dr Francis Dossou : Cet ultimatum du gouvernement me paraît justifié parce que l’autorisation que le personnel du secteur public avait et qui pouvait lui permettre de travailler dans le secteur privé à certaines heures, il en a largement et profondément abusé dans l’utilisation de cette opportunité qu’on avait de faire valoir nos compétences en dehors du secteur public. Donc en ma qualité du président du Conseil national de l’Ordre des médecins du Bénin, je valide. Je crois que c’est une bonne chose. Seulement que je considère que c’est surtout une mise à plat pour un nouveau départ. Il faut partir de zéro et chacun reste dans son coin pour voir comment les choses peuvent être arrangées après. Cela va être très difficile à gérer aussi bien pour les privés qui utilisent des compétences du secteur public que pour le secteur public où une bonne partie des patients n’ayant pas envie d’être ‘’mal traitée’’ dans le secteur public, préfère aller dans le secteur privé où malheureusement ceux qui traitaient mal dans le secteur public traitent un peu mieux. Cela s’est perverti dans ce sens en général, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Et on ne peut pas dénier la compétence, même la qualité de l’exercice de chacun. C’est individuel. Chacun choisit de faire bien où très bien son travail qui est celui d’accueillir le patient, de lui apporter les soins nécessaires et de le laisser partir satisfait. Le gouvernement a décidé d’assainir le secteur, je crois qu’il faut bien commencer quelque part.
Est-ce qu’il existe une autorisation pour les agents de santé du secteur public d’intervenir aisément dans le privé ?
Plus ou moins. La loi qui organise tout ça interdit aux personnels de la Fonction publique de travailler dans le secteur privé. Mais un article autorise cette personne sous l’autorisation du ministre pour exercer dans le secteur privé. La loi n° 97-020 de 17 juin 1997 est restée pendant longtemps sans décret d’application. Il a fallu attendre plus de vingt ans, c’est-à-dire janvier 2018 pour que le gouvernement actuel prenne un décret d’application pour fixer les règles selon lesquelles cette autorisation du ministre doit être délivrée. Ça fait que, pendant les vingt ans, nous nous sommes installés, nous avons travaillé dans le secteur privé sans vraiment avoir l’autorisation. Parce qu’il n’y avait pas de textes qui précisaient les conditions dans lesquelles il faut le faire, mais il fallait quand même prêter main-forte à personne en danger. Ce décret soumet désormais l’activité du fonctionnaire dans le secteur privé à l’autorisation du ministre, en fonction d’un certain nombre de conditions pour ne pas laisser son travail dans le secteur public et aller le faire dans le secteur privé. Donc, on le fait en dehors des heures de travail dans le public et sans porter préjudice à son activité dans le secteur public. Surtout avec des spécialités plutôt rares dans le secteur. Mais j’avoue qu’on a été un peu surpris sept à huit mois plus tard qu’une autre décision soit venue de remettre tout à plat. C’est un nouveau départ, il faut repartir à zéro.
Comment peut-on comprendre qu’un agent de santé soit moins productif dans le public que dans le privé ?
Ça peut se comprendre parce que la peur du gendarme, c’est un peu le début de la sagesse. Comme il n’y a personne pour fixer les directives, pour imposer les méthodes et réclamer des résultats, chacun est laissé à sa libre conscience. Ne font vraiment et correctement leur travail aussi bien dans le public que dans le privé avec la meilleure qualité, que ceux qui avaient au départ la vocation de santé, de venir apporter leur aide à ceux qui souffrent. C’est la vocation, ça vient du cœur. Il y en a beaucoup qui sont venus à la santé parce qu’il leur faut du travail. Celui qui vient à la santé, médecin, sage-femme, infirmier, etc., c’est pour apporter sa compétence pour soulager le patient. Celui-là, il sera efficace aussi bien dans le public que dans le privé. Mais celui qui n’a pas la vocation et qui vient a besoin de quelques directives. Il peut bien faire son travail avec conscience professionnelle parce que très technique et compétent, mais il le fait d’autant qu’il a quelqu’un qui l’observe, qui le suit et le note ; le sanctionne quand il le faut.
Qu’est-ce qui explique l’exploitation des matériels du public au profit du privé ?
A ma connaissance, c’est plutôt le contraire ; c’est plutôt les matériels du secteur privé que les collègues médecins viennent utiliser dans le secteur public à cause de la pénurie répétée de matériels observée dans le public. Et j’espère que ça va permettre à l’hôpital de se rendre compte cette fois-ci qu’on a besoin de matériels et de se le procurer.
Pensez-vous qu’au 31 août, l’ultimatum du gouvernement sera vraiment respecté ?
Il revient au gouvernement de prendre ses responsabilités. De toute façon, le gouvernement a des démembrements déjà au niveau des différents hôpitaux. J’ai pu constater que certains directeurs d’hôpitaux ont pris la responsabilité de demander à ceux qu’ils utilisent dans le secteur public de choisir et de rendre public leur choix. Il y a des fiches qui circulent au Cnhu et à Abomey-Calavi et donc, il faut choisir.
Quels seront les impacts de cette décision sur le secteur public d’une part et sur le secteur privé d’autre part ?
Dans le public, les malades seront bien soignés parce qu’il y aura du personnel présent aux postes. Les secteurs où il n’y aura pas assez de personnel, on s’en rendra compte pour combler les déficits. Le but, selon moi, c’est pour que les gens soient à leurs postes. Plus, ils sont à leurs postes et mieux, le patient aura accès à son médecin, au personnel de soin qui devrait s’en occuper. C’est vrai aussi qu’il y a un problème dans le secteur public. En dehors du Cnhu qui est autonome et qui recrute son personnel quand il veut, les autres hôpitaux n’ont plus vraiment de personnel. Il y a un manque criant de personnels de santé, notamment de médecins. Et l’Etat devra donc recruter des médecins, notamment des spécialistes pour desservir les zones éloignées qui en ont besoin. Je suppose que servir aux deux endroits va revenir d’autant plus qu’au cours du Conseil des ministres, il était prévu une dérogation pour une certaine catégorie. Les commentaires sont divers, mais je pense que ça va certainement revenir parce qu’il y a des besoins. Pour le moment, c’est le secteur privé qui va le plus souffrir parce qu’il repose essentiellement et pour une grande part sur des agents permanents et contractuels de l’Etat. Il faudra donc que le secteur privé se réorganise. Les collègues ont compris et ils ont commencé par se réorganiser pour pouvoir répondre à cette nouvelle donne. Quelque part, ça les arrange un peu parce qu’ils n’auront plus “la concurrence“ du personnel du secteur public. De toute façon, si le gouvernement a pris cette option, c’est parce qu’il compte aller jusqu’au bout et qu’il en a les moyens. Et finalement, c’est la population qui va gagner. Mon espoir est que les hôpitaux soient suffisamment dotés de matériels. On aime jeter facilement la pierre aux personnels de santé, mais on oublie qu’on n’a vraiment du plaisir à travailler que lorsqu’on a ce qu’il faut. Si tout le monde y met du sien, on va y arriver. Je ne pense pas qu’il faille s’opposer à cette décision du gouvernement.
Que fait le Conseil pour ramener à l’ordre les médecins qui parfois bâclent le travail dans les hôpitaux publics ?
Le Conseil national de l’Ordre des médecins du Bénin fait beaucoup de choses. C’est vrai qu’il a manqué la communication. Mais nous avons désormais pris l’option de nous ouvrir pour que les gens sachent que nous existons et que nous travaillons réellement et nous avons l’intention d’en faire plus. Nous ambitionnons d’être véritablement forts, d’être visibles pour être efficaces afin que les malades bénéficient de soins de qualité administrés par des personnes compétentes, honnêtes et qui font leur travail avec conscience professionnelle. L’Ordre des médecins a son mot à dire dans l’assainissement du secteur de la santé. Pour le moment, l’action du gouvernement paraît logique et j’espère que le gouvernement ira jusqu’au bout et pourra faire les actions qui suivent cette décision qui est brutale mais qui, je l’espère, sera salvatrice.
Par Babylas ATINKPAHOUN (Stag.)