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A cœur ouvert avec Jérôme Tossavi, auteur et bibliothécaire: « Je condamne l’absence d’une politique de promotion du livre »

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Jérôme Tossavi Jérôme Tossavi

Il a un modeste parcours dans le champ littéraire béninois. Mais bien plus qu’un auteur ou un simple amoureux des lettres, sa position de bibliothécaire dans l’une des plus grandes bibliothèques de la ville de Cotonou, lui donne une analyse singulière du monde des livres. Sans fioritures, Jérôme Tossavi parle du livre, de la lecture, des auteurs et des lecteurs…

Par   Propos recueillis par Josué F.MEHOUENOU, le 31 août 2023 à 08h28 Durée 9 min.
#livres
La Nation : De l’idée jusqu’au lancement, comment un auteur béninois prépare-t-il un ouvrage ?

Jérôme Tossavi : Un projet littéraire s’inscrit en réalité dans un projet global de vie. Je le conçois comme je conçois mes nombreux projets de vie tels que la construction d’une maison, l’achat d’une voiture, la scolarisation de mes enfants, etc. Ceci dit, je formalise ce projet en pensant, avant tout, au budget qu’il peut nécessiter. Bien sûr, c’est le contenu du projet qui mobilise davantage mon énergie. Mais je ne perds jamais de vue le budget, vu que dans notre contexte, il n’y a pratiquement pas de financement pour le livre et la lecture publique. Pour me résumer, je dirai qu’un projet littéraire, chez moi, se pense en deux étapes. La première est liée au contenu de l’œuvre que je cherche à mettre sur le marché. Parlant de contenu, il se compose en trois temps. Je planifie le temps d’écriture de l’œuvre (qui est généralement un temps long et fastidieux vu qu’on ne s’y consacre pas à plein temps) ; le temps de lecture et de relecture (c’est également un temps qui est séparé de celui de l’écriture et qui, parfois, a tendance à durer compte tenu de ma sensibilité aux fautes et irrégularités dans le style) puis vient enfin le temps du processus d’édition avec à la clé la recherche d’un bon éditeur dont la ligne éditoriale répond aux attentes de l’œuvre en situation de création. 

Pour vous, tout se résume donc en trois temps ! 

Ces trois temps que sont : le temps d’écriture, le temps de lecture-relecture et le temps d’édition constituent la première étape de tout projet littéraire chez moi. La deuxième étape est relative à l’élaboration du budget. A ce niveau, je fais une évaluation globale de combien peut me coûter ce projet (de l’impression jusqu’au lancement). Une fois le budget bouclé, je vais à la recherche de potentiels sponsors. La plupart du temps, je n’en trouve pas. Je développe d’autres stratégies commerciales pour alléger le financement. Par exemple, revoir le nombre d’exemplaires à tirer au cas où les ressources sont insignifiantes, ou négocier les modalités de paiement des acomptes avec l’éditeur selon les conditions d’édition (à compte d’éditeur ou d’auteur). 

Quel a été votre livre le plus lu ?

Je dirai « Le chant de la petite horloge » (édité chez Savane du continent au Bénin) grâce auquel j’ai obtenu le Grand Prix Littéraire du Bénin en 2020 et qui a été, avant cette consécration, finaliste du Prix Rfi Théâtre la même année. Cette pièce de théâtre qui raconte le destin précaire de jeunes gens atteints de la phobie des choses qui trainent et qui explosent dans un pays terroriste, m’a porté au-devant de la scène aussi bien au plan national qu’international. Elle a déjà été plusieurs fois réimprimée parce que épuisée régulièrement dans les bonnes librairies du Bénin. Elle a également fait l’objet de plusieurs concours littéraires dont le dernier remonte à celui que la Bibliothèque nationale a récemment organisé et qui est intitulé : « L’heure silencieuse ».

Quels sont les sujets qui passionnent les lecteurs béninois, selon vous ?

La question de l’amour continue de faire des émules dans la littérature béninoise même si cette question y a été longuement débattue depuis L’esclave de Félix Couchoro (premier roman béninois paru en 1929) jusqu’aux Fantômes du Brésil (2013) de Florent Couao-Zotti en passant par Doguicimi (1983) de Paul Hazoumè et Un piège sans fin (1960) d’Olympe Bhêly Quenum pour aboutir aux Tresseurs de cordes (1986) de Jean Pliya. Les livres qui ont le vent en poupe, selon ma petite expérience de bibliothécaire en poste à la médiathèque de l’Institut français du Bénin, ce sont les livres dont les héros ou héroïnes sont en excès ou en défaut d’amour. C’est ce qui explique qu’un auteur aussi discret qu’Abdel Hakim Lalèyè soit aussi adulé et reste l’un des écrivains béninois les plus lus actuellement. A y observer de près, cette appétence pour l’amour reflète l’état d’âme de la société béninoise elle-même ; laquelle société, me semble-t-il, est en manque d’amour vu la déliquescence observée de nos jours au sein des couples qui ne perdurent plus dans le temps. 

Vous arrive-t-il de faire des tours dans les librairies pour vous enquérir des nouvelles de vos publications ?

Oui ! Fréquemment ! Etant donné que je n’ai ni agent littéraire ni distributeur en dehors de mes éditeurs, je me déguise parfois en conseiller commercial pour voir et comprendre l’évolution de la vente de mes ouvrages dans les librairies. C’est également un plaisir de s’adonner à un tel exercice. Ça me permet d’être au parfum des difficultés que rencontrent constamment les libraires dans notre pays. 

Quel est votre état d’âme lorsque vous constatez que les stocks ne bougent pas ?

Choqué, mais je n’accuse pas les libraires qui manquent bien souvent de politique de promotion et de diffusion des œuvres qui dorment sur leurs étagères. Je condamne plutôt l’absence d’une politique globale de promotion du livre et de la lecture publique au Bénin. Parce qu’en réalité, les libraires seuls ne peuvent pas changer les donnes. Il faut que chaque maillon de la chaine joue sa partition. Imaginez par exemple que chaque commune du Bénin soit dotée d’une bibliothèque censée acquérir deux à trois exemplaires des œuvres des auteurs béninois légalement éditées. Mieux, que chaque établissement scolaire, doté systématiquement d’un centre documentaire, se donne comme principe inviolable d’acheter deux exemplaires de chaque parution béninoise. Vous allez voir que nos librairies qui sont des bois aux yeux dormants, vont se vider en un clin d’œil. Donc le mal est ailleurs et ne peut reposer sur les seules épaules frêles des libraires. 

Avez-vous l’impression que les auteurs béninois sont lus ?  

Les auteurs béninois sont lus. C’est parce qu’il n’y a pas de dispositifs crédibles pour les aider à mieux connaitre leurs écrivains et leur littérature qu’on a l’impression que les Béninois ne lisent pas. Avant de dire que les Béninois n’aiment pas lire, il faut d’abord que des bibliothèques dignes du nom existent sur l’ensemble du territoire. Il faut que, dans chaque école, il existe un coin pour le livre. Il faut que des émissions exclusivement littéraires figurent dans les grilles de programmes de nos chaînes télés et radios. C’est en procédant à cet « envahissement » du livre, qu’on réussira à tirer la main des Béninois vers la lecture. Autrement, on continuera à gloser injustement que les Béninois n’aiment pas lire. 

Qu’est ce qui aujourd’hui, selon vous, fait défaut à la littérature béninoise ?

Le manque de dispositifs (résidence d’auteurs, mini foires ou salons de livres etc…) et d’accompagnement des écrivains béninois est le talon d’Achille qui freine l’élan de la littérature béninoise. Le talent ne manque pas. C’est l’accompagnement et la création d’un cadre légal qui font défaut. Des dispositifs existent pour les autres corps de métiers, mais rien n’est réservé pour la corporation des écrivains qui s’isolent du monde et meurent en silence sous nos cieux.

Qu’est-ce qui, selon vous, constitue des entraves à la promotion de la littérature béninoise ?

L’absence de canaux de diffusion est redevable au fait qu’aucune place n’est réservée à la littérature sur nos stations radios ou télés ou dans nos médias publics. C’est un scandale que dans la gamme des journalistes spécialisés de ceci et de cela, on ne retrouve jamais un chroniqueur littéraire passionné pour le livre et la littérature. Les quelques rares qui existent sur le marché ne s’y consacrent pas à plein temps et sont souvent mal reçus dans les audiences publiques où ils sont regardés de façon dédaigneuse. 

Les livres d’auteurs béninois sont-ils trop chers pour le citoyen lambda ?

Je ne sais pas ce qu’on met dans la cherté. Les Béninois sont capables de payer des voitures de luxe et des casiers de bières pour des fêtes en famille. Et pourquoi, quand il s’agit de l’achat de livres, on devient frileux sur le prix d’achat ? Non ! Je pense que c’est de la mauvaise foi de penser que les livres béninois coûtent si cher que le lectorat serait incapable de s’en procurer. C’est parce qu’il manque une culture du livre qui doit passer par la mise en place de dispositifs crédibles susceptibles de faire aimer le livre aux Béninois. Si le Béninois y trouve son intérêt, vous verrez qu’il ne lésinera pas sur les moyens.

Avez-vous déjà eu un ouvrage au programme dans l’enseignement au Bénin ?

Non. Mais plusieurs extraits de mes textes sont exploités dans les corpus d’enseignement au Bénin

Que pensez-vous des livres au programme dans les lycées et collèges du pays ?

Rien de particulier. Il faudrait simplement mettre un peu de côté l’affection dans le choix desdits ouvrages. Car ce sont ces livres qui donneront le goût de la lecture à la génération montante. Beaucoup de livres sont au programme, bien qu’ils manquent de pertinence et d’esthétique.

On note, depuis peu, que des femmes au Bénin s’intéressent de plus en plus à la littérature. Le doit-on à une raison particulière ?

Les femmes sont présentes de plus en plus dans tous les domaines. Ce n’est pas seulement en littérature qu’elles connaissent une ascension. C’est l’ère des femmes. Ce n’est donc pas étonnant qu’au Bénin, le champ de la littérature soit majoritairement occupé par les femmes. C’est dans l’ordre normal des choses.