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Ghislain Donald Adandé au sujet de l’éducation inclusive: « Les Odd 4 parlent de ne laisser personne de côté »

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Ghislain Donald Adandé Ghislain Donald Adandé

Depuis plusieurs années, l’éducation inclusive est au cœur des préoccupations des acteurs œuvrant pour la promotion des droits des personnes handicapées. Ghislain Donald Adandé est assistant social, spécialiste de la protection de l'enfance et de la jeunesse, membre du projet Education inclusive et formation professionnelle à Handicap international. Il explique ce qu’implique cette approche et les actions menées pour parvenir à l’éducation inclusive.

Par   Reine AZIFAN, le 18 oct. 2023 à 08h35 Durée 4 min.
#l’éducation inclusive #Les Odd 4
La Nation : On entend beaucoup parler d’éducation inclusive concernant les personnes en situation de handicap. De quoi s'agit-il concrètement ?

Ghislain Donald Adandé : La formation inclusive ou l'éducation inclusive, c'est cette éducation, cet enseignement qui tient compte des besoins spécifiques de l’apprenant, qui n'attend pas qu’il se batte pour s'adapter à l'existant, à ce qui est déjà mis en place, comme un moule auquel on doit se conformer. Mais c'est une éducation ou une formation qui amène l'accompagnant ou l'enseignant ou le formateur à tenir compte des besoins de tous les apprenants d'une salle de classe, d'un centre de formation, pour que, au bout du rouleau, l'enfant ou l'apprenant puisse avoir le nécessaire pour son autonomie et que la formation puisse atteindre ses objectifs à savoir l’instruction, l’autonomisation et la socialisation. 
Est-ce que l'enseignant ou le formateur, que ce soit en milieu professionnel ou à l'école, est outillé pour tenir compte de la personne en situation de handicap lors de ses enseignements ?

La réponse est non. L'enseignant n'est pas outillé. Le formateur n'est pas toujours outillé. Pour les enseignants qui ont fait les écoles normales des instituteurs, c'est vrai, on leur parle de la pédagogie différenciée, mais ça ne leur permet toujours pas de prendre en compte les spécificités des apprenants handicapés. Ils n'ont pas vraiment le nécessaire pour s'occuper de tous les enfants de leur classe. Il faut quand même dire qu’il y a des efforts qui sont faits depuis quelques années, par l'État et certaines Organisations non gouvernementales et internationales dont Handicap international, qui prônent depuis bientôt une dizaine d'années l'éducation inclusive.
Que fait Handicap international dans ce sens pour que l'inclusion des personnes en situation de handicap soit effective lorsqu'il s'agit de leur donner une formation ?

Ce que fait Handicap international, c'est d'abord prendre l'enfant dans sa globalité, c'est-à-dire il faut pouvoir mettre l’enfant debout quand c'est nécessaire; il faut l'accompagner pour sa scolarité. Et quand il n'arrive pas à continuer ou quand il n'est pas inscrit, il faut pouvoir l'accompagner pour une formation professionnelle. Pour que l'enfant puisse être bien accompagné et qu'on puisse parler d'une éducation inclusive ou bien d’une formation inclusive, c'est un tout. Alors qu'est-ce que l'enfant même a comme difficulté ? De quoi il a besoin ? Est-ce qu’il lui faut des verres médicaux ? Est-ce qu'il lui faut une aide technique ? Je mets dans les aides techniques tout ce qui est appareillage, prothèse, orthèse, verres médicaux et béquilles, canne anglaise, canne blanche selon les types de handicaps. Alors, sur ce plan, Handicap international appuie les parents à avoir ces aides techniques, forme les enseignants, les directeurs, les animateurs d’établissement, les responsables d'unités pédagogiques et même les apprenants. Et à cet effet, Handicap international a organisé plusieurs formations sur la pédagogie inclusive.
Sur toute l'étendue du territoire national, c'est un pool de 27 membres composés des inspecteurs et des conseillers pédagogiques que nous avons. Nous travaillons avec des écoles partenaires, 9 collèges d’enseignement général et 50 écoles primaires. Nous organisons des séances d'information et de sensibilisation à travers les radios pour inviter les parents à jouer également leur partition. Nous composons également avec le ministère des Affaires sociales et de la Microfinance à travers ses structures déconcentrées que sont les centres de promotion sociale et qui travaillent à identifier les enfants dans leur communauté. Handicap international appuie ces structures à utiliser l'approche sociale personnalisée qui consiste à accompagner chaque enfant avec ses besoins, avec ses difficultés et également les parents et la communauté à comprendre les besoins des enfants.
Le projet a également appuyé le ministère des Enseignements maternel et primaire par du matériel spécifique, par exemple l'imprimante braille qui permet d’imprimer les épreuves en écriture braille. Il y a également l'appui à ce même ministère pour que le système d'information et de gestion soit désormais plus inclusif pour prendre en compte les enfants handicapés. Sur ce plan, vous allez voir que le projet veut désormais aider le gouvernement à disposer des données sur les enfants handicapés en milieu scolaire parce que si l'État n'a pas l'information, il ne pourra pas déployer vraiment des actions à l'endroit de ces enfants. Nous appuyons également les apprenants en kits scolaires.
Pendant qu'on parle d'éducation inclusive, il y a toujours des centres d'accueil ou de formation spécialisés dédiés aux personnes handicapées qui existent. Comment expliquez-vous cette situation ?

L'existence des centres dédiés à l'accueil et à la formation des personnes en situation de handicap, c'est vraiment le contraire de l'éducation inclusive parce que là, ce sont des écoles spécialisées. Quand nous parlons de l'inclusion, on parlera de l'école spécialisée, de l’école intégratrice et de l’école inclusive. Il faut voir ça à ces trois niveaux.  Il y a des écoles spécialisées qui n'accueillent que les enfants handicapés, qui interagissent entre eux. Et ensuite, on parlera de l'école intégratrice qui accueille les enfants handicapés mais qui ne fait pas l'effort d'adapter tout à leurs conditions. Mais dans l'école inclusive, sur une même installation, on a les enfants handicapés et les enfants non handicapés et tout est fait de telle sorte que tous se sentent à l'aise, et on tient compte de leurs spécificités. 
Alors quand on parle d’éducation inclusive, est-ce que ces centres spécialisés doivent continuer par exister ? La réponse est non, mais la réponse est également oui. Oui, en ce sens que nous avons quitté loin. On disait aux personnes handicapées qu'elles ne pouvaient pas aller à l'école. A un moment donné, certaines personnes se sont dit : elles peuvent quand même faire quelque chose, regroupons-les quelque part pour les aider. Ce sont là les écoles spécialisées. À un moment donné, on a dit il faut qu’on évolue. Les Odd 4 disent de ne laisser personne de côté et d'inclure tout le monde. Du coup, on commence à parler de l'éducation inclusive. Donc, on ne peut pas tout de suite supprimer ces écoles spécialisées qui existent parce que ça doit être fait de façon progressive. Elles peuvent exister, mais ce serait vraiment pour des enfants à grands besoins. 
On a beaucoup parlé de ce qui se fait dans les écoles, mais qu’en est-il des centres de formation professionnelle ? 

Il y a des centres de formation professionnelle et d'apprentissage qui sont un peu comme des écoles spécialisées. Quand je prends le Centre de Péporiakou dans le Nord, et le Centre de formation professionnelle des personnes handicapées d’Akassato au Sud, ces deux centres par le passé, accueillaient uniquement les enfants handicapés. Désormais, le centre d’Akassato est un centre inclusif qui accueille aussi bien les jeunes handicapés que les jeunes non handicapés, qui travaillent ensemble. Les responsables de ces centres sont formés sur ce que nous appelons la pédagogie inclusive. Il y a le Lycée agricole Mèdji de Sékou qui accueille aussi des cohortes d’enfants handicapés. Désormais, ils sont plus outillés à accompagner ces enfants-là. 
Par contre, au niveau de nos ateliers ordinaires des quartiers et autres, on constate que ces artisans accueillent toujours et enfants handicapés et enfants non handicapés sans avoir reçu au préalable des formations spécifiques. Mais quand la déficience est un peu prononcée ou est plus remarquable, il y en a qui ne les reçoivent pas. Sinon, à ce niveau, ils font déjà l'effort sans avoir une formation sur la pédagogie inclusive.

Que diriez-vous pour conclure cet entretien ?

Je dis aux parents qu’il faut faire sortir les enfants des arrière-cours pour les envoyer dans les écoles de leurs quartiers et expliquer aux enseignants que ces enfants ont le droit d'être accueillis, d'être accompagnés. Il faut que les parents se rendent aussi disponibles à accompagner les enseignants et les différents acteurs du système éducatif ou de la formation professionnelle. Qu'on n’aille pas les jeter comme un colis ou bien un débarras au niveau de ces écoles. J’invite toutes les parties prenantes, les parents et les acteurs du système éducatif à jouer leur rôle pour qu’effectivement, les enfants et les jeunes béninois, filles et garçons puissent vraiment bénéficier de leur droit à l'éducation et à la formation professionnelle, sans aucune distinction.