La Nation Bénin...
Le
Bénin dispose d'atouts considérables en matière d’économie bleue, mais méconnus
alors qu’une bonne partie de la population devrait les exploiter pour stimuler
la croissance et la richesse au vu de leur accessibilité. Ernest Tindo, expert
en économie bleue et président de l’Organisation panafricaine de la jeunesse
pour l’économie bleue (Opjeb), fait découvrir ce vaste domaine économique mal
exploité à travers cet entretien et parle des atouts du Bénin en la matière.
L’économie bleue désigne d’une part l’exploitation durable des ressources des eaux marines, continentales et souterraines et d’autre part l’utilisation des milieux aquatiques en faveur de la croissance économique, l’amélioration des revenus et des emplois, ainsi que la santé des écosystèmes océanique et côtier.
Selon
la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (Cea), « l'économie
bleue décrit l'utilisation durable et la conservation des ressources aquatiques
dans les environnements marin et d’eau douce. Ceci comprend les océans et les
mers, les côtes et les rives, les lacs, les rivières et les eaux souterraines.
Il s'agit des activités qui exploitent les ressources aquatiques (pêche,
exploitation minière, pétrole, biotechnologies, etc.) ou utilisent les milieux
aquatiques (transport maritime, tourisme côtier, etc.), dès lors qu'elles sont
réalisées de manière intégrée, équitable et circulaire. Ces activités
contribuent à améliorer la santé des écosystèmes aquatiques en établissant des
mesures de protection et de restauration ».
En
se basant sur l’énorme potentiel de ce secteur pour le continent africain,
l’Union africaine a qualifié à juste titre l’économie bleue de la « nouvelle
frontière de la renaissance africaine ».
Sur l’Atlantique, le Bénin dispose d’un littoral de 125 km de long qui lui confère une zone économique exclusive (Zee) de 27 750 km2, soit environ 40 % de sa superficie terrestre, et d’une étendue considérable d’eaux continentales (lacs, lagunes, fleuves et cours d’eau). L’économie liée à tout cet écosystème est composée d’activités traditionnelles (transport maritime, port et services connexes, pêche, transport fluvio-lagunaire, production de sel lagunaire, extraction de sable marin et lagunaire, etc.), d’activités émergentes (aquaculture, tourisme balnéaire et aquatique, hydro-électricité, etc.) et d’activités transversales (câbles sous-marins et télécommunications, sécurité et sûreté maritimes et portuaires, préservation de l’environnement marin et côtier, formation, etc.). Pour avoir un aperçu de ce que le Bénin gagne ou peut davantage en tirer, nous allons examiner quelques sous-secteurs stratégiques relevant de l’économie bleue.
En
effet, le port de Cotonou contribue pour 90 % aux échanges avec l’extérieur,
engendre jusqu’à 60 % du Produit intérieur brut (Pib), 80 à 85 % des recettes
douanières et 45 à 50 % des recettes fiscales. Il a accéléré sa modernisation
et sa compétitivité avec l’extension de ses infrastructures et de ses capacités
d’accueil de navires de dernière génération dans le cadre d’un plan directeur
dont la mise en œuvre en cours est estimée à environ 255 milliards F Cfa. Cette
dynamique devrait favoriser l’éclosion de chantiers navals pour l’entretien des
navires. Or, les chantiers navals sont particulièrement pourvoyeurs d’emplois
qualifiés pour une masse critique de jeunes. Il est donc nécessaire d’inciter
le secteur privé à investir dans les chantiers navals notamment les chantiers
de construction de pirogues de pêche et promouvoir des filières de formations
spécialisées orientées vers les métiers de la mer et du littoral. La définition
d’une politique de pavillon international soutenue par le développement d’une
filière de placement des gens de mer dans les navires commerciaux et les
navires de pêche industrielle constituent non seulement une piste crédible du
renforcement de la croissance économique autour de l’économie maritime mais
aussi une réelle opportunité de création d’emplois pour la jeunesse béninoise.
La
pêche, quant à elle, joue un rôle clé mais modeste sur le plan
socio-économique. Elle occupe 15 % de la population active et contribue pour 8
% au Pib agricole et 3,5 % au Pib national. La production halieutique nationale
ne couvre toutefois qu’environ 40 % des besoins du pays. Pour combler ce
manque, le Bénin importe depuis 2014 plus de 100 000 tonnes de poissons chaque
année. Le développement de l’aquaculture par la production de poisson à des
coûts compétitifs est un défi à la fois économique, politique (au sens de la
sécurité alimentaire) et bien sûr, social avec un enjeu de création d’emplois
pour les jeunes.
Le
tourisme aquatique et balnéaire représente également un sous-secteur
stratégique de l’économie bleue du Bénin. En effet, d’après le Conseil
économique et social (Ces), en 2021, le tourisme est la deuxième source
nationale de rentrée de devises et le troisième créateur d’emplois après
l’agriculture et le commerce. Le Bénin dispose d’énormes potentialités en
matière de tourisme maritime et balnéaire, avec son littoral, ses nombreuses
mangroves, ses lagunes et ses cités lacustres comme Ganvié qualifiée de la «
Venise de l’Afrique ».
Avec
son écosystème côtier composé de nombreuses mangroves, le pays peut en outre
renforcer son positionnement sur le marché de carbone bleu ainsi que son
adaptation aux changements climatiques. Les câbles sous-marins, quant à
eux, constituent le nœud central pour
les télécommunications et le numérique.
La
position géographique du Bénin lui confère donc des atouts indéniables pour
développer l’économie bleue. Pour ce faire, deux conditions sine qua non sont à
remplir. Adopter une stratégie nationale alignée sur la stratégie de l’économie
bleue africaine et les autres documents de politiques et stratégies régionales
et sous-régionales ; créer un cadre institutionnel orienté vers
l’intersectorialité et la gouvernance bleue, favorable à la définition d’une
vision holistique et une approche globale de la gouvernance de l’ensemble des
milieux aquatiques.
Nous avons effectivement organisé, du 25 au 27 juillet 2024, à Lomé, au Togo, la première édition du « Forum des jeunes africains sur l’économie bleue». L’objectif de l’Opjeb à travers cette initiative que j’ai eu l’honneur de coordonner en qualité de commissaire général est de sensibiliser la jeunesse africaine au potentiel du continent en économie bleue, aux différents métiers de la mer et du littoral afin de faire émerger une forte motivation des jeunes vers l’économie bleue durable aux fins de réduire le désespoir, la fuite des cerveaux, l’immigration clandestine, en favorisant la création de valeur ajoutée et d'emplois décents pour l’épanouissement de la jeunesse africaine et le développement de l’Afrique.
Alors
que l’Union africaine qualifie l’économie bleue de « nouvelle frontière pour la
renaissance africaine », nous avons des centaines de jeunes africains qui
meurent chaque année dans la Méditerranée en se livrant à l’immigration
clandestine. C’est un paradoxe auquel il faut trouver des solutions fiables.
C’est pour cela que nous voulons, dans l’intérêt de l’Afrique, connecter la
créativité et la vigueur de la jeunesse africaine à ce vaste « territoire bleu
» qui est un immense chantier pour le développement de l’Afrique.
De façon spécifique, ces principaux objectifs se résument en quatre points : sensibiliser les jeunes africains aux potentialités de l'Afrique dans le vaste secteur de l'économie bleue ; développer des compétences liées aux métiers de la mer et du littoral au profit de la jeunesse africaine ; connecter la créativité et la force de la jeunesse africaine au chantier du développement de l'économie bleue africaine pour la renaissance de l'Afrique ; et enfin promouvoir le partenariat public-privé au profit du développement de l'économie bleue dans les pays africains.
La jeunesse africaine dans une large majorité n’a pas une bonne connaissance de la richesse des mers et océans, des eaux continentales et souterraines d’Afrique. Il est important de lui faire découvrir cela en captant son attention par la sensibilisation, de la former aux métiers de la mer et du littoral, d’investir pour créer un écosystème favorable à la valorisation de sa créativité sur ce vaste chantier.
L’organisation du premier Forum des jeunes africains sur l’économie bleue a donc permis d’adopter une feuille de route ayant pour objectif général d’« accélérer la croissance bleue durable et inclusive pour l’Afrique par l’éducation, la formation et les innovations sur les milieux aquatiques ». Elle s’articule autour de quatre principaux axes. Premièrement, nous voulons renforcer la sensibilisation des populations africaines notamment les jeunes, les populations côtières, des îles et celles lacustres aux potentialités de l’Afrique en matière d’économie bleue et la nécessité de la préservation des écosystèmes aquatiques.
Deuxièmement,
nous voulons promouvoir la formation pratique des jeunes aux métiers de la mer
et du littoral ainsi que dans les technologies appliquées au profit des
différents sous-secteurs de l’économie bleue en vue du développement des
compétences spécifiques à court et moyen termes.
Troisièmement,
nous cherchons à promouvoir les partenariats public-privé, l'innovation et la
recherche dans les sous-secteurs de l'économie bleue en Afrique. Et enfin, nous
envisageons de renforcer le positionnement de l’Afrique par sa visibilité dans
l’économie bleue mondiale ainsi que la promotion de l’économie bleue africaine.
En cela, il faut remercier tous ceux qui ont compris l’importance du combat et
ne cessent d’accompagner les initiatives dans ce sens■