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Martin Gbèdey, Dg/Adelac: « Les travaux de dragage pilote ont été conduits avec satisfaction »

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Martin Gbèdey Martin Gbèdey

En instance de réception, les travaux de dragage pilote ont été conduits suivant les normes environnementales et dans le respect de nos traditions, estime Martin Gbèdey, directeur général de l’Agence pour le développement intégré de la Zone économique du lac Ahémé et ses chenaux (Adelac). Il parle dans cet entretien, de la suite du Programme intercommunal de réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux (Pira) .

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 20 févr. 2024 à 06h21 Durée 5 min.
#Martin Gbèdey, Dg/Adelac
La Nation : Monsieur le directeur, rappelez-nous brièvement l’historique du projet de réhabilitation du lac Ahémé et de ses chenaux

Martin Gbèdey: Le gouvernement a fait de la réhabilitation des lacs en général une priorité dans son programme d’action, pour répondre aux préoccupations des populations. En ce qui concerne le lac Ahémé, c’était un plan d’eau qui assurait la production halieutique la plus importante et de grande qualité pour le Bénin. Mais du fait de l’ensablement, la production a commencé à chuter, parce que quand le lac est comblé, les poissons n’ont plus l’environnement adéquat pour se multiplier, pour grandir normalement. A un moment donné, le lac ne produisait plus grand-chose. 
Les populations ont commencé à réclamer le dragage du lac depuis plus de six décennies. Il y a eu certes des tentatives, mais le dossier n’avait pas été vraiment pris à bras-le-corps. Une première étude a été faite dans les années 90 où on a commis un cabinet international qui a conclu que draguer le lac ne serait pas viable. N’ayant pas de solutions, une bonne partie des populations riveraines de pêcheurs a migré vers les pays de la sous-région comme la Côte d’Ivoire, le Congo, le Gabon, la Mauritanie, la Guinée, l’Angola.
En 2012, cette situation a été une préoccupation du gouvernement, sous l’impulsion du ministre Pascal Irénée Koupaki. Une nouvelle étude a été lancée et conduite, cette fois-ci avec les populations. A cette occasion, trois structures ont été mises en place pour conduire les travaux : la Commission consultative élargie aux populations, le Comité de pilotage, l’administration et des représentants des populations et le Conseil d’orientation stratégique composé des ministres et des préfets. Il a été retenu qu’on peut réhabiliter le lac par dragage sectoriel. C’était un programme intégré qui comportait plusieurs dimensions et devrait coûter toute une fortune.
A l’avènement du régime actuel, le gouvernement a fait du programme une priorité. La mise en œuvre a d’abord commencé par l’assainissement. Tous les engins prohibés ont été enlevés: le système d’akadja, les filets ravageurs et autres techniques prohibées qui créaient des ennuis sur le lac jusqu’en 2019. A partir de 2020, le gouvernement a décidé de passer à la phase proprement dite de dragage du lac et de ses chenaux.


En quoi consiste concrètement le dragage ?

Il a été retenu une phase de dragage pilote qui part du carrefour critique de Djondji-Houncloun entre les départements de l’Atlantique et du Mono. C’est de là que les espèces halieutiques transigent pour migrer de la mer vers le lac. Après appel d’offres, l’entreprise chinoise China Harbour Engineering Company Limited (Chec) a été retenue pour exécuter les travaux, avec la participation des populations. Aujourd’hui, la phase pilote du programme est terminée et les travaux sont en instance de réception. C’est un projet exclusivement financé sur le budget national pour un peu plus de 22 milliards F Cfa pour cette phase pilote. Il n’y a pas de financement de partenaires extérieurs pour le moment.



Les attentes sont-elles comblées ?

Les travaux ont été conduits certes avec quelques difficultés, mais avec beaucoup de satisfaction. Des gens mécontents racontaient beaucoup de choses, avec plein de malveillance et d’inquiétudes qui n’étaient pas forcément justifiées. Certains parlaient même de catastrophes environnementales et appelaient le chef de l’Etat au secours. 

Les travaux ont été réalisés suivant les normes environnementales et dans le respect de nos traditions. Il a fallu prendre des précautions pour protéger l’environnement et même les divinités de la zone. On y a associé quelques infrastructures sociocommunautaires, comme la reconstruction de deux passerelles préexistantes à Mèkô et à Hata, ainsi que l’érection de quatre embarcadères/débarcadères respectivement à Djondji, Houncloun, Mèkô et Gonkô. Des étangs piscicoles ont été mis en place ainsi que des réserves pour repeupler le lac.

Tout ce qui a été prévu a été réalisé sauf sur un point. On avait envisagé dans l’appel d’offres le rechargement et l’aménagement sur 13 km de la piste de la Route des pêches, de la Porte du Non-Retour à Djondji, commune de Ouidah. Avant même de signer le contrat, le gouvernement a décidé que cette portion soit bitumée et les travaux sont confiés à une autre entreprise. C’est ainsi que ces travaux seront renégociés et convertis en extension du dragage et/ou en ouvrages complémentaires, suivant la volonté du chef de l’Etat.

On a même dépassé certaines cibles. Sur le volume de dragage, on a fait 104 %. Environ 750 000 m3 de sable obtenus sont mis à la disposition de l’Etat pour les grands travaux.  On avait prévu un reboisement de mangrove sur 10 ha, mais on en a finalement fait 12 ha, soit 120 %. On a fait deux réserves biologiques qui n’étaient pas prévues, pour servir à repeupler naturellement et plus rapidement le lac. On a mis en terre des cocotiers mais également des bois de chauffe pour diminuer la pression des riverains sur les mangroves. Des essais sont faits aussi pour voir avec les sédiments dragués comment enrichir le sol et faire du maraichage, afin de permettre aux populations de diversifier leurs activités. On a dragué 208 ha et on a gagné environ 180 ha de terrain viabilisé pouvant servir à des projets touristiques et immobiliers pour l’Etat.


Comment gérez-vous les désagréments causés aux riverains ?

L’objet principal, c’est de restaurer le plan d’eau pour que sa fonction principale de production de poissons soit améliorée. Je puis vous assurer que les populations ne s’en cachent pas: cette zone draguée commence déjà à regorger d’espèces. Nous avons fait du dragage hydraulique. Pendant qu’on faisait cela, les gens pêchaient en dehors de la zone délimitée. Toutefois, sur des espaces donnés, il y a des sédiments qui restent en suspension dans l’eau. L’eau charrie des limons qui s’étendent dans des zones qu’on n’a pas prévues, bouchant certains canaux qu’on est en train de déboucher en ce moment. Au-delà de cela, je sens que les populations sont satisfaites autant que nous.

Qu’est-ce qui est prévu en termes de préservation des acquis ?

D’abord, on a dragué jusqu’à 6 m de profondeur en moyenne, 7 m par endroits. Pour qu’il y ait encore comblement, cela va prendre des siècles. Mais en même temps, nous nous engageons dans un programme de reboisement des berges et des plateaux versants pour que l’eau de ruissellement qui drainait le sable dans le lac puisse être bloquée par les arbres qui seront plantés. Nous envisageons de réaliser aussi des infrastructures routières, notamment des pistes avec des aménagements antiérosifs dans les zones de Bopa, Dékanmè, Akodéha, Sègbohouè. Il faut empêcher toutes les autres activités qui facilitent l’ensablement du lac. Il faut aussi sensibiliser les populations pour qu’elles comprennent qu’elles ont intérêt à éviter tout ce qui met en péril l’écosystème du lac, comme l’utilisation des pesticides, des herbicides, des engrais chimiques pour les activités agricoles, qui sont lessivés et emportés dans les cours d’eau. C’est un programme beaucoup plus complexe qu’il faudra gérer avec le ministère en charge de l’Agriculture, pour règlementer ces activités agricoles dans les zones lacustres de façon générale.

La phase de généralisation de la réhabilitation du lac et de ses chenaux est-elle déjà envisagée ?

Nous sommes en train de réaliser les documents spécifiques à cet effet. Mais avant la phase de généralisation, nous avons une phase d’extension de la zone pilote. Pour cette phase intermédiaire, le gouvernement a donné son accord pour que la phase pilote soit étendue de Docloboé jusqu’à l’embouchure: la Bouche du Roy. On est en train de nous activer pour faire démarrer les travaux. Pendant ce temps, on espère finir les dossiers de la généralisation pour commencer véritablement les travaux.